Sur la voie d’une « success story », le destin brisé de Rafik N.

Assassiné lors d’une fusillade le 26 avril 2015, Rafik N. militait pour encourager les jeunes Marseillais à sortir du trafic de drogue.

« Qui a dit que les jeunes étaient tous des fainéants et qu’ils n’avaient pas de perspective d’avenir ? »  Dans un article publié en janvier, La Provence raconte l’histoire de Rafik N., un jeune entrepreneur issu d’un milieu défavorisé. A 31 ans, ce Marseillais originaire de la Delorme, un quartier Nord de la cité phocéenne, voulait réussir autrement que par le trafic de drogue.

Depuis 2006, Rafik se consacrait à un projet d’entrepreneuriat pour soutenir les jeunes du 15e arrondissement. Avec deux associés, Jérôme Rastit et Bertrand Roudeix, il avait lancé en 2012 Drimstars, un site destiné à soutenir les commerçants de proximité face à la concurrence des centres commerciaux. C’était surtout l’occasion pour Rafik de montrer aux habitants de son quartier qu’ils peuvent s’en sortir. « Même si la vie ne m’a pas fait de cadeau, je sais que je peux aider les gens autour de moi et les rassembler autour d’un projet commun », avait confié Rafik dans les colonnes de La Provence.

Capture du site Drimstars, créé par Rafik N.

Capture d’écran du site Drimstars, créé par Rafik N.

Le 26 avril dernier, ses projets se sont tus sous une rafale de Kalachnikov. Deux AK-47, une vingtaine de cartouches. Selon les informations recueillies par l’AFP, Rafik était dans l’épicerie de nuit de son beau-frère Samir. À 5 heures 30 du matin dans le quartier du Canet, deux hommes sont arrivés devant le petit commerce, boulevard Maison Blanche. Sans retirer leur doigt de la gâchette, ils ont tiré machinalement sur Samir et pris la fuite.

A leur arrivée sur les lieux, les policiers ont entendu des gémissements, juste au dessus de l’épicerie, sur une mezzanine qui sert de réserve. Mehdi G., un homme de 31 ans, gisait au sol, blessé. Rafik était allongé à côté, sans vie.

« Rafik est mort ce matin »

Jérôme Rastit est abasourdi. Sur son profil Facebook, l’associé et ami de Rafik a publié un message :

« Rafik est mort ce matin. Lui qui croyait qu’on pouvait changer les choses. Lui qui voulait s’en sortir et créer sa start-up pour ne pas tomber dans la drogue et la violence. »

Jérôme refuse que l’on assimile son ami à un délinquant. « Mais monsieur les journalistes, vous qui l’avez interviewé récemment, vous pensez vraiment que c’était un trafiquant de drogue impliqué dans les règlements de comptes ? », peut-on lire sur son mur Facebook. Dans le journal de TF1 dimanche, les reporters ont employé le terme « règlement de comptes » dès les premières images. « Pour les gens qui le connaissaient, ce qu’il disent à la télé ne correspond pas du tout à la réalité », raconte Jérôme, contacté par téléphone.

Les deux hommes se sont rencontrés il y a quelques années lors d’une soirée d’entrepreneurs. Jérôme se rappelle de Rafik comme d’un homme intelligent, qui avait « de la tchatche ». « Il venait d’un milieu difficile, il avait des lacunes mais il n’a jamais perdu sa motivation ». Passionné par son projet, Rafik avait l’habitude d’organiser des réunions pour prêcher la bonne parole aux jeunes du quartier. « Je le vois mal faire des choses illégales », assure son ami. « Il a grandi avec des gens qui sont devenus des caïds par la suite. Lui a voulu s’en sortir mais il n’a pas pu échapper à ce milieu. »

Au mauvais endroit, au mauvais moment

Selon une dépêche AFP, la police n’a pas retrouvé les coupables. La piste du règlement de compte sur fond de trafic de stupéfiants n’est pas privilégiée.

Pour Jérôme, Rafik n’avait « rien à voir avec la drogue ». A 31 ans, Rafik vivait toujours chez ses parents « parce qu’il n’avait pas le choix ». Il touchait le RSA et aidait son beau-frère dans l’épicerie de nuit pour arrondir ses fins de mois « en toute légalité ». Parfois, il y allait aussi « pour avoir son coin tranquille parce que c’est pas facile de vivre chez ses parents à son âge ». C’était le cas ce soir-là. La balle qui l’a tué sur le coup ne lui était pas forcément destinée. « On raconte que les tirs ont traversé le mur et atteint la réserve », relate Jérôme.

Samir, lui, connaissait bien le milieu de la drogue. A 32 ans, le beau-frère de Rafik avait déjà fait cinq ans de prison – un an ferme pour trafic de stupéfiants et quatre pour complicité d’évasion. Dans le quartier, on le disait « reconverti » mais la police judiciaire n’est pas convaincue, selon La Provence . Et les raisons de la fusillade restent floues. « Dans ces milieux, il y a toujours mille raisons », soupire Jérôme.

Continuer à faire vivre son projet

À Marseille, Rafik avait intégré la Yump Académie, une formation gratuite dédiée aux porteurs de projet d’entreprise issus des quartiers défavorisés. Pour Serge Malik, co-fondateur de l’académie, interviewé à Paris, « Rafik était un garçon motivé et dynamique. Mais il venait d’un écosystème borderline. C’est Marseille, c’est pas très clean ». Son envie de faire aboutir son projet a valu à Rafik des articles dans la presse et des interviews à la télévision. Ses proches veulent faire perdurer son travail. « On ne veut pas tuer le projet comme ils ont tué Rafik », conclut Serge Malik.

Jérôme aussi veut continuer l’aventure Drimstars, même si cela ne sera « jamais comme avant ». Le décès de Rafik le pousse à se concentrer sur l’aspect social du projet et intervenir davantage dans les quartiers difficiles. « On veut que sa mort serve d’exemple ».

Ghalia Kadiri

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